« Deux mois à New York sans ma famille, c’est trop long », confie Roberto Alagna. Le ténor chante « Samson et Dalila » de Camille Saint-Saëns au Metropolitan, avant de rentrer en France pour reprendre le temps d’une représentation exceptionnelle le costume d’Alfredo dans Traviata de Verdi à Paris, où il tiendra dans ses bras le soprano Aleksandra Kurzak, son épouse à la ville.  Une pige, le jour de la sortie de leur disque. Il évoque sans détour sa vie, ses projets, son écueil à Bayreuth, et les Chorégies d’Orange, avec un retour probable en 2021 dans « Samson et Dalila ».

« New York est fabuleuse, j’adore cette ville et ce théâtre. Mais deux mois sans famille, c’est vraiment trop long ! J’en ai un peu assez. Ce sera différent en février, car je reviendrai en famille cette fois. Je serai heureux ! », raconte sans ambages Roberto Alagna, le ténor. Il se languit de son épouse Aleksandra Kurzak et de leur fille Malèna. Il raconte que sa femme l’a bien rejoint une semaine dans la ville américaine, mais sans sa fille, et ça ne peut suffire  : «La venue d’un enfant a changé les choses et ça remet les pendules à l’heure. »

Ornella son aînée lui manquait terriblement quand elle était petite, mais il n’avait pas le choix. Il fallait travailler pour subvenir à leurs besoins, il commençait le métier et sillonnait le monde lyrique. C’est peut-être pour cela que sa fille a désiré construire une famille jeune, du fait qu’elle ait perdu sa mère très tôt et que son père Roberto assumait sa carrière : « Heureusement que j’ai eu des parents formidables. » Roberto Alagna associe ses deux enfants, il projette Ornella dans Malèna enfant mais il imagine aussi la cadette en devenir dans l’image de son aînée : « Je prends cet enfant comme une deuxième chance. »

CHOREGIES D'ORANGE CAVALLERIA RUSTICANA ROBERTO ALAGNA PHOTO CHRISTOPHE AGOSTINIS

Roberto Alagna annonce un agenda rempli jusqu’en 2022. Photo Christophe AGOSTINIS

A ceux qui l’interrogent et évoquent l’hyperactivité qui l’anime depuis plus de 30 ans de carrière, il lui est arrivé de répondre qu’il aspirait désormais à ralentir un peu, à « lever le pied ». La retraite ? Roberto Alagna y met des nuances : « J’ai dit que je souhaitais passer plus de temps avec les enfants. Je dis aussi que la solitude me pèse de plus en plus. Poser un peu les valises, s’installer dans un lieu agréable, être auprès des miens, ça, c’est ce que je souhaiterais, un peu comme un inaccessible rêve. Maintenant il y a aussi la réalité, elle est autre. Car j’ai peur que la scène me manque et que j’adore ça. Mon agenda est plein jusqu’en 2022. »

Il rappelle que la famille doit combiner avec deux carrières internationales aux agendas très épais. « D’un côté, cette sorte de tourbillon nous plaît tant à Aleksandra qu’à moi, mais ce qui me pèse le plus c’est de me retrouver de par le monde tout seul. » Il convient : « Il faudrait sans doute que j’arrive à en faire un peu moins, mais c’est difficile. Pourtant, je refuse environ 70% des propositions que je reçois, et malgré cela mon planning reste surchargé. Il faudrait que je sois encore plus sélectif (sourire). »

Quand on lui rappelle son annulation à Bayreuth l’été dernier, où il devait faire ses premiers pas chez Richard Wagner, dans Lohengrin, Roberto Alagna rappelle les circonstances : « J’ai travaillé cette partition pendant un an comme un fou. Au point que l’encre de la page de garde s’est effacé ! Il me restait encore à mémoriser quelques passages et on m’a dit que je ne pouvais pas me présenter dans ces conditions. Si je n’ai pas pu aller au bout à temps pour le début des répétitions, c’est pour des raisons médicales sérieuses, où chacun devrait être tenu à la réserve, et malgré ma détermination, j’ai dû renoncer. Mais le rôle est en moi désormais, et toutes les personnes spécialistes du répertoire allemand à qui je l’ai chanté m’ont conforté en me disant que mon allemand était bon. Je le chanterai c’est certain, car c’est un rôle qui me correspond. Même si ce n’est pas à Bayreuth.» 

Un retour aux Chorégies d’Orange en 2021

Roberto Alagna se projette rapidement d’un festival à un autre, aussi réputé soit-il, lui qui connaît le théâtre antique par cœur pour avoir pas moins de quinze fois entre 1993 et 2015 aux Chorégies d’Orange : « J’avais dit que je n’envisageais plus de venir chanter à Orange, sauf pour quelque chose comme Samson. Et nous sommes justement en discussion avec Jean-Louis Grinda qui m’offre Samson et Dalila, sans doute en 2021. Je serai donc ravi d’y revenir avec ce rôle. »

Roberto Alagna de retour aux Chorégies en 2021

Roberto Alagna annonce son retour aux Chorégies en 2021.

Alors qu’il achève la rédaction d’un dictionnaire intime (à paraître en février 2019), Roberto Alagna a réservé la lettre O à Orange : « C’est très particulier pour moi, je m’y suis souvent senti comme le fils prodigue. J’ai toujours eu une affection particulière pour cette ville et pour les Orangeois. »

Le festival voisin d’Aix-en-Provence ne lui fait toujours pas les yeux doux, confirme Roberto Alagna : « On ne pense pas forcément à moi pour ce genre de festival. Pour tout dire, je ne suis pas non plus particulièrement attiré, bien que ce festival m’évoque bien entendu immanquablement Gabriel Dussurget, quelqu’un qui a énormément compté pour moi. A une époque, j’ai eu des contacts avec les anciens directeurs, je n’étais pas disponible, ça ne s’est jamais concrétisé. On aime bien mettre des étiquettes aux gens et je ne dois pas avoir la bonne étiquette, pour Aix. Disons que ça ne m’a jamais manqué ; mais après, tout est possible.»

Au contraire, des Pavarotti ou des Domingo qui ont donné leur nom à des concours célèbres, Roberto Alagna n’a pas l’intention de s’investir dans ce type de projets : « On m’a souvent invité à des remises de prix, des concours ou des master-classes ; mais ça ne me dit rien. Je ne cours pas après ce genre de manifestations ou d’exposition. J’ai refusé énormément de prix. En fait, j’aime la discrétion. »

Un projet en cours avec son frère David

A ceux qui lui ont reproché d’être sorti des sentiers opératiques, il souligne que ses disques et ses tournées « Luis Mariano » ou « Sicilien » étaient à chaque fois … de la musique : « Je n’ai jamais compris ces reproches alors que tout le monde le fait, ni que cela puisse être considéré comme « des chemins de traverse«  .En l’occurrence, tout ce que j’ai fait, je l’ai fait avec le plus grand sérieux. Croyez-moi, ce genre de répertoire, ce n’est pas de la dilettante, y compris vocalement. Et puis c’est de la création pure : je travaille énormément sur la composition, l’intention artistique, les textes, les arrangements, même les pochettes, tout. C’est un vrai travail artistique. J’ai toujours adoré ça, m’impliquer dans toutes les dimensions de la création et de la musique. J’aurais d’autres projets à mener ».

On sait que Roberto Alagna s’investit dans la création. On se souvient du Dernier jour d’un condamné, opéra de son frère David d’après Victor Hugo, qu’il porte à la scène depuis 2007. Il annonce que son frère travaille à un projet pour le Vatican : « J’ai entendu quelques passages, c’est très bien. Avant d’en parler, il faut le laisser finir. »

Un disque Puccini et une Traviata de Verdi avec son épouse Aleksandra Kurzak

Avant ce voyage musical à long terme, Roberto Alagna regarde vers l’Opéra de Paris, où le 26 octobre prochain, il reprendra le rôle d’Alfredo dans cette représentation additionnelle de Traviata de Verdi. Sur la scène, il aura à son bras son épouse le soprano Aleksandra Kurzak dans le rôle-titre. Cette représentation coïncide avec la sortie de leur disque « Puccini in love ».

On pourrait penser que c’est facile pour lui de reprendre les personnages de ses débuts de carrière, il s’en défend : « Ça fait peut-être 23 ans que je ne l’ai pas chanté. Ça correspond à une période ancienne, celle de Florence (NDLR : son épouse décédée). En fait, c’est beaucoup de risques, surtout pour une seule soirée. Beaucoup d’émotions vont remonter et c’est ce que je crains le plus. C’est un énorme challenge, j’arrive à froid au sortir de Samson dans cette production, avec 2 ou 3 heures de répétitions seulement et je dois me couler dans un personnage qui est loin de moi maintenant, que je vais regarder un peu comme dans un miroir. Je ne sais pas si beaucoup de chanteurs ont connu cela, c’est une sensation étrange. Je vais rentrer de plein fouet dans le personnage. C’est peut-être cela qui fera la magie de cette soirée. Ce sera en tout cas un grand moment de communion. Il faut le prendre avant tout comme une fête, l’envie de partager avec le public ce moment d’émotion et mon bonheur de rejoindre Aleksandra sur scène. »  

Il assure que la magie s’installera sur le plateau : « Nous serons des chanteurs sur scène. Mais c’est comme mettre mes pas dans les siens. Il existe une alchimie de chanter avec son épouse, c’est  comme Fred Astaire quand il danse avec Ginger Rogers : tout fonctionne. »

Bruno ALBERRO

 

Où entendre Roberto Alagna ?

  • Jusqu’au 20 octobre dans « Samson et Dalila » au Metropolitan de New York ;
  • Le 26 octobre dans « Traviata » de Verdi à l’Opéra de Paris ;
  • Le 6 novembre concert Puccini au théâtre des Champs Elysées à Paris ;
  • Du 28 novembre au 5 décembre dans « Andrea Chenier » à Berlin ;
  • Le 15 décembre dans « Luisa Miller » de Verdi en version concert à Monte-Carlo ;
  • Du 9 janvier au 8 février dans « Carmen » de Bizet au Metropolitan Opera de New York;
  • Du 7 mars au 29 mars dans « Otello » de Verdi à l’Opéra de Paris ;
  • Du 11 avril au 20 avril dans « Carmen » de Bizet à l’Opéra de Paris ;
  • Du 20 mai au 9 juin dans « Andrea Chenier » à Londres ;
  • Le 15 juin dans « Madama Butterfly » de Puccini en version de concert à Varsovie en Pologne. 

Renseignement à Roberto Alagna