Paul Daniel est chef attitré à l’Orchestre national de Bordeaux. Comme Anglais, il s’amuse à dire Debussy : « Lorsque qu’il a composé la première image Gigue qui vient d’une mélodie anglaise du nord de l’Angleterre, n’y a sûrement jamais mis les pieds. En effet, dit-il, je m’étonne de 3oo ans de présence anglaise en Aquitaine et il ne reste pas une trace de l’esprit anglais à Bordeaux. Les Anglais ne comprennent rien à l’élégance de cette joie de vivre à Bordeaux. L’esprit anglais est moins joyeux que l’esprit français. Et il ajoute :  Je ne trouve rien de l’Angleterre dans la musique de Debussy.»

Quel a été votre ressenti avec cette nouvelle salle ?
Et bien ! Je crois que ça a été aussi le bon moment pour l’Orchestre de Bordeaux qui pouvait désormais répéter dans la salle de concert ; un atout majeur pour la musique.
C’est miraculeux, après 30 ans de rêve et de souhait pour chaque musicien, ce nouveau lieu était une nouvelle page, une nouvelle manière de travailler. Indépendamment du chef ou du programme, la vie de l’artiste, du musicien à l’auditorium a été transformée. Grâce aux bâtiments, grâce à Bordeaux ; plus qu’à mon arrivée.

Comme chef quel est votre empreinte ?
Ça a été difficile de s’adapter. Comment jouer la musique ? Comment jouer ensemble ? comment trouver les nouvelles balances, les instruments entre les pupitres, entre les cuivres et les cors, les cors et les voix ? C’est ça le rôle du chef d’orchestre. On apporte l’expérience, des idées, une certaine compétence. L’orchestre a déjà un son, une sonorité. Le changement de salle a permis les contrastes, les dynamiques de nuances. Tout est possible dans cette salle, mais c’est difficile. Je trouve que chaque orchestre français a une identité très spéciale.
Ici, je me suis limité, j’ai mis des barrières pour travailler principalement avec cet Orchestre de Bordeaux, pour le rayonnement et l’identité de cet orchestre.
Par exemple, pour les postes vacants, dans le choix des musiciens nouveaux, à Bordeaux, pas de place pour les timides. Il faut dès le premier concert jouer comme un grand musicien, pas de position de retrait. Tout lâcher, donner tout son talent. C’est un orchestre de grand caractère qui demande des uns, des autres et du chef ; et donc, des nouveaux aussi.

Il y a une différence d’approche entre un chef français et un chef anglais ?
Oui, c’est peut-être une qualité des artistes français, ils demandent des couleurs, des sensibilités, des réactions dans la musique, des réactions l’un de l’autre ; « everybody is looking the sensations ».
Ha ! bien, toutes ces saveurs, tous ces gestes, ces esprits différents ; il faut « blended ».
Aux Etats Unis, on a un orchestre qui est tout mélangé, c’est un seul instrument, alors pour trouver la couleur d’un solo, un caractère un peu spécial pour ce solo, pour cet instrument c’est difficile.
Ici à Bordeaux c’est différent, c’est tout un orchestre de solistes ; l’individualité est un bon mot ici. Il y a des forces dans l’individualité dans l’orchestre, on va dire dans les orchestres français en général. Et l’enjeu, c’est de se servir de ces individualités pour porter l’ensemble et ce que je dois faire, c’est de tirer toutes ces individualités. J’admire beaucoup cet esprit.
L’orchestre est très exigent, il attend beaucoup de la musique et de moi pour corriger, améliorer ou trouver une autre manière de jouer. Ici, on regarde la musique pour la première fois et je dois vraiment travailler, retravailler, reconsidérer chaque mesure.

Comment développer le talent des individuels fait aussi partie de ses responsabilités ?
Il y a une idée qui vient souvent des musiciens, ou de quelqu’un d’autre. On lit quelque chose d’un écrivain. Ha ! oui, on peut transférer ça dans la musique.
Je suis très intéressé aussi par le pouvoir de la musique. Comment elle agit sur les êtres, c’est un pouvoir guérisseur ou du moins apaisant dans certaines maladies. Tout un chacun a un potentiel d’écoute.

Et en dehors de la musique, une passion, un hobby ?
Pour cette année, les deux mois d’été sont déjà pris par des concerts. L’année prochaine j’aurai peut-être deux mois de libre, mais je ne sais pas quoi faire en vacances. Je ne peux pas être en vacances sans avoir quelque chose à étudier.
Je cours quand je peux.

Dominique MAZAUDOU

Photo crédit Roberto Giostra

 

En bref Paul Daniel

Né le 5 juillet 1958 à Birmingham, Paul Daniel est un Chef d’orchestre britannique, formé à  Guildhall School of Music and Drama de Londres et au King’s college de l’université de Cambridge. Il est Commandeur de l’Ordre de l’Empire Britannique, a obtenu le prix Laurence Olivier en 1998 et le prix Gramophone en 1999.
Après avoir été directeur de l’Opéra National de Londres, il a pris la direction d’un Orchestre symphonique en Australie pendant 6 ans, où précise-t-il il a eu la chance de
développer le répertoire, les idées, les programmations et quand tout ça est fini, au même moment, il a commencé un orchestre en Espagne à Saint Jacques de Compostelle avant de se voir proposer la direction de l’Opéra national de Bordeaux.
Une forme d’idéal pour lui puisque sa venue concordait avec l’ouverture de l’auditorium de Bordeaux. 

Paul Daniel, comme directeur musical est lié par un contrat de 17 semaines par an pour faire de la programmation et de la prospective en griffonnant sur un cahier d’écolier des pages d’idées, de listes et de programmes. Introduire et élargir le goût, en considérant le public qui demande aussi des choses est pour lui une préoccupation permanente.

Renseignement à l’Opéra de Bordeaux