L’humain est au cœur du discours du pianiste Abdel Rahman El Bacha. Il le répète à l’envi tout au long de cette conversation alors qu’il était à Carpentras les vendredi 11 et samedi 12 janvier prochain. Il a animé une master class pour les élèves du conservatoire de cette petite ville de Province et a donné un concert.

Abdel Rahman El Bacha est un pianiste franco-libanais, bien que pour lui l’art bannit les frontières. Lui, invité dans les lieux les plus prestigieux et dans les grands festivals posera ses doigts sur son piano installé dans une salle modeste à Carpentras en Vaucluse, au cours de son séjour comtadin il conseillera les élèves du conservatoire et s’en explique : « Pour moi, il n’y a pas de petits et de grands lieux, comme il n’y a pas de grand ou de petit public : il y a de l’humain et une relation entre le pianiste et ceux qui sont venus l’écouter. A Carpentras, Dany Baychère m’a invité. Nous sommes connus quand elle était principale dans un collège à Orange. J’étais venu discuter avec les élèves et parler avec eux de musique classique, leur dire les émotions et le bonheur qu’elle peut procurer. Nous n’en faisons pas assez pour les jeunes. Et puis à Carpentras ce sera l’occasion de jouer mes propres œuvres. C’est aussi l’occasion de parler des pièces qui seront jouées et des compositeurs qui ont inspiré ce concert comme Chopin et Granados.»
Pour le pianiste franco-libanais il n’y a pas de hiérarchie entre l’artiste et le public : « Pour qu’il y ait une communication, il faut que les interlocuteurs soient au même niveau. Il y aura aussi une discussion autour du documentaire réalisé par le Belge Gérard Corbiau : « Un piano entre orient et occident ».»
Abdel Rahman El Bacha évoque sa chance d’avoir grandi au Liban dans une famille de musiciens et de bénéficier ainsi des deux cultures : de l’Occident et du Moyen Orient : « Je suis venu en France à seize ans avec une bourse. La musique classique a été introduite par la présence occidentale avec le protectorat français (1920-1946) qui a amené des professeurs.» Il cite d’autres artistes comme lui ayant mené une carrière internationale telle Diana Taky Deen qui vient de décéder ou Henri Gorayeb : « Ce sont d’excellents pianistes. On doit se souvenir que Kempf, Richter sont venus au festival de Baalbeck et que ce festival existe toujours même si la situation du pays n’est pas facile. »

Le pianiste Abdel Rahman El Bacha Crédit Photos Chloé Kritharas 9393

Le pianiste Abdel Rahman El Bacha sera en concert à la salle Auzon à Carpentras. Crédit Photo Chloé Kritharas.

Quand on lui glisse qu’il y a une émergence de musiciens classiques au Moyen-Orient comme le soprano jordanien Dima Bawab ou le chef d’orchestre égyptien Nader Abbassi et qu’ils pourraient se réunir pour promouvoir la musique classique dans ce pays du monde, Abdel Rahman El Bacha répond : « Au Quatar, j’ai joué le concerto de Beethoven avec Nader Abbassi. Mais pour moi, la question de la nationalité ne se pose pas, tous les humains sont les mêmes. Ce qui est différent ce peut être l’aspect physique et la couleur de peau. Mais un homme quel qu’il soit ressent des émotions. La musique parle d’art, pas de politique. L’art est permanent ; Beethoven est unique, alors que les Princes sont nombreux et les frontières ou les idéologies peuvent changer. Les œuvres de Beethoven seront toujours là, alors que les Princes sont des personnes et que leurs politiques changent.»
A Carpentras, Abdel Rahman El Bacha livrera quelques unes de ses compositions. Choses pas si communes puisqu’au cours de la seconde partie du XXe siècle peu d’œuvres contemporaines ont été jouées et rejouées. Quand on fait remarquer au pianiste que c’est en train de changer depuis la disparition des maîtres du sérialisme. Le Libanais préfère évoquer la liberté du compositeur : « Si (Pierre) Boulez pensait qu’il était dans la vérité et que c’était sa liberté de le faire alors il a bien fait de le faire. Quand on présente une nouvelle composition il y a aussi un autre aspect : c’est sa réception par le public et le public a le droit de dire qu’il aime ou qu’il n’aime pas. A leur époque, Beethoven et Chopin ont été critiqués. Boulez avait critiqué Rachmaninov et pourtant Rachmaninov a bien fait et le public est heureux d’entendre ces pièces car ce sont des chefs d’œuvre absolus, les plus joués au XXe siècle. Il a su mettre une force et une beauté qu’on ne peut pas nier. Il est vrai que le compositeur est enfermé dans son monde, c’est un univers qui nous isole des autres.»
A la liberté, Abdel Rahman El Bacha oppose la tyrannie : « Je la refuse même d’un compositeur talentueux. Toute tyrannie est abominable que ce soit en politique ou dans les arts. Elle est inadmissible provenant de tout être humain. »
Il conclut ainsi : « La supériorité d’une musique est atteinte avec un certain niveau de beauté, de noblesse et d’émotion. Certaines chansons de quelques minutes procurent plus d’émotions qu’une symphonie d’une heure qui ne parle pas. »

Bruno ALBERRO

 

Photo crédit Jean-Baptiste Millot

La vidéo d’Abdel Rahman El Bacha

Où entendre Abdel Rahman El Bacha ?

  • Samedi 12 janvier à 20h30 à l’Espace Auzon à Carpentras . Le pianiste franco-libanais Abdel Rahman El Bacha est attendu à Carpentras pour animer une master classe, réservée aux  élèves du conservatoire, le vendredi 11 janvier à 17 heures. A 20h30 il participera à une vidéo-conférence depuis la salle Auzon et il répondra aux questions du public. Entrée gratuite à cette réunion  sur réservation . Le lendemain samedi 12 janvier à 20 h 30, toujours à la salle Auzon, il donnera un concert où il mettra à son programme des pièces de  Chopin, Granados et des oeuvres de sa composition. Renseignement au au 04 90 60 84 00.
  • Dimanche 27 janvier à 17 heures avec le  QUATUOR PARISII au Théâtre Montansier de Versailles ;
  • Jeudi 04 avril à 20 heures au Quai 9 à Lanester (56) ;
  • Le 11 octobre à l’Opéra du Grand-Avignon pour le Concerto n°3 de Prokofiev.