Le dimanche 7 avril à 16 heures, l’Opéra Confluence du Grand Avignon recevra le concert des Voix nouvelles 2018 avec sur le plateau les sopranos Hélène Carpentier, Caroline Jestaedt, le ténor Florian Laconi et le baryton Anas Seguin. Au début de leur carrière, beaucoup reste attaché à leur professeur de chant. Daniel Delarue, professeur au conservatoire à rayonnement régional d’Aubervilliers revient vingt ans en arrière, il n’a pas oublié son étoile filante. Il évoque cette relation étrange entre le professeur et son élève, surtout quand l’ancien élève décide en pleine gloire d’arrêter sa carrière éphémère.
Daniel Delarue assure avoir fait le deuil de cette rencontre avec cette soprano qui aurait dû être, selon lui, l’artiste lyrique du XXIe siècle, comme Maria Callas a incarné celle du XXe siècle. Le professeur de chant lyrique du Conservatoire à rayonnement régional d’Aubervilliers n’a rien oublié de ces onze années passées à ses côtés, il n’a pas oublié qu’Elle aurait 40 ans depuis hier, ni les quinze ans de silence respecté de part et d’autres. Par décence et par respect du choix de la chanteuse de quitter non seulement la scène mais aussi l’univers lyrique, son nom sera tu, on la baptisera Elle, avec un grand E.
C’est toute la relation rare et inespérée entre le professeur et son élève, entre la joie de transmettre et l’effondrement d’une carrière arrêtée en pleine gloire, à 25 ans alors que l’étoile montante de l’opéra est devenue une étoile filante. Il est vrai qu’un professeur façonne son élève pour le conduire à la réussite, alors qu’elle peut être la douleur de l’enseignant quand un joyau décide de tout arrêter alors qu’il brille de mille feux. Daniel Delarue ne dira rien des raisons qui ont poussé cette jeune femme à cette déclaration irréversible : « Tous les chanteurs apprennent d’abord dans l’école de musique proche de chez eux avant de grandir dans un CRR ou dans un Conservatoire national supérieur. Elle, elle est venue au cours alors qu’elle avait quatorze ans. C’est une rencontre entre un professeur et une élève. Celle dont tout professeur rêve, avec une chance infime de la croiser. Dès cet instant, nous nous sommes côtoyés tous les jours. La relation va au-delà de la confiance entre deux individus. Quand on travaille avec un chanteur on est proche de l’intime car son instrument est à l’intérieur. Le chanteur a besoin de cette relation extérieure. Mais le professeur ne doit pas devenir un gourou. Mais il est là pour donner un conseil, savoir quel rôle abordé, savoir écouté. Elle, elle avait toutes les qualités et même scéniquement c’était parfait. On ne voyait qu’elle, même aux côtés d’artistes internationaux. Il ne faut pas croire que sa décision de mettre fin à sa carrière a été soudaine. C’était longuement réfléchi. Elle a déclaré qu’elle était morte. Et qu’elle renaissait dans une nouvelle vie. C’est difficile de faire le deuil de quelqu’un de vivant. Mais j’ai respecté sa parole et nous n’avons eu plus aucun contact. Parfois je la vois, comme dans un rêve, elle est si proche, si vivante que je me dis qu’à se moment-là, elle pense à moi. »
Daniel Delarue ne dira rien des raisons qui ont poussé cette étoile filante à tout lâcher alors qu’elle était réclamée sur toutes les scènes. Il raconte ce deuxième concours des Voix nouvelles de 1998, présidé par Raymond Duffaut. Un Ovni, totalement inconnu. Il cite aux côtés d’elle les Séphane Degout, les Anne-Catherine Gillet ou les Nicolas Testé auréolés cette année-là qui font tous une excellente carrière : « Tous était applaudis poliment à leur entrée sur scène, Elle, elle passait en 7e position. Elle a été ovationnée avant de chanter. Après l’avoir entendue, tout le monde était bouleversé. Ces fulgurances ne sont pas sans créer de jalousie, d’autant qu’elle savait bouger sur scène, qu’elle savait révéler des émotions, qu’elle était jolie : elle avait tout pour elle.»
Daniel Delarue glisse que pendant quatre ans, tous deux avaient travaillé, éloignés de tous regards. Après ce concours, Elle a eu un agent et les premiers contrats : « C’est un destin brisé. »
Aujourd’hui, Elle fait partie de la vie de Daniel Delarue : « C’est comme des amis rares, on en compte quatre ou cinq dans une vie, Elle est de celle-là. J’y pense tous les jours mais ce n’est plus douloureux, c’est un souvenir. La vie a pris le dessus.»
Le quotidien a fini par rattraper Daniel Delarue, revenant à la transmission, peut être plus détaché par rapport à ses nouveaux élèves. Ce qui a changé c’est qu’il ne prend plus que des chanteurs majeurs : « Je n’ai pas envie d’avoir de problèmes avec des parents. Je n’ai pas envie d’entendre que telle ou telle fille ne peut pas chanter la Belle Hélène (NDRL : de Jacques Offenbach) en maillot de bain. Au moins avec des majeurs, on ne peut rien me reprocher. Nous vivons dans une époque où la liberté se réduit de plus en plus.» Le discours du professeur Daniel Delarue n’a pas changé quand il reçoit ses élèves. Outre la parenthèse douloureuse qu’il a vécu au tréfonds de son être, il les avertit des difficultés à devenir soliste et à vivre cette vie singulière : «C’est beaucoup de travail, beaucoup de solitude, de moments de séparations avec ses proches. Evidemment être soliste c’est ce que le chanteur recherche, mais c’est de plus en plus difficile. Si on devait établir une hiérarchie entre les solistes, les enseignants et les choristes, je dirai que les moins considérés sont les choristes, et ils ne souvent pas très bien payés en province, pourtant c’est un beau métier.»
Concert des Voix nouvelles
- Ce dimanche 7 avril à 16 heures à l’Opéra Confluence du Grand Avignon avec les sopranos Hélène Carpentier et Caroline Jestaedt, le ténor Florian Laconi et le baryton Anas Seguin. L’Orchestre philharmonique de Marseille sera dirigé par Lawrence Foster. Au programme des airs de Carmen de Bizet ; de Manon, Cendrillon, Hérodiade de Massenet ; de Faust de Gounod ; du Barbier de Séville de Rossini ; de L’élixir d’amour de Donizetti ; de Tosca de Puccini ; de Rigoletto de Verdi et de la Veuve joyeuse de Lehar.
Renseignement à l’Opéra du Grand Avignon