Telle professeur/ telle élève. L’expression populaire transplantée ici convient à la pianiste Estelle Sisommay étudiante à la Haute école de musique de Genève, sur le site de Neufchâtel. Elle sait ce qu’elle doit  à la professeur de ses débuts Caroline Khatchatourian, directrice du conservatoire de Bagnols-sur-Cèze dans le Gard. A les entendre l’une et l’autre, dans leurs orientations, comme dans l’importance de l’enseignement, ou encore leurs goûts et les couleurs pianistiques, le mimétisme frappe.

Ne lui parlez pas de se produire dans une salle prestigieuse, elle se sent trop petite pour cela. La pianiste Estelle Sisommay travaille à plus d’ambition : « Marc Pantillon, mon professeur à la Haute école de Genève me dit qu’il faut rêver. Je garde les pieds sur terre et ça me dérangerait de brûler les étapes. Mais je travaille sur moi contre mon humilité et ma solitude naturelle.»
Dans une société où tout doit aller vite, Estelle Sisommay avance à contre-courant, en appréciant d’être sur le bon chemin sans fin de la musique. Sa vie même est une suite de rencontres et de hasards, jusqu’à ce qu’elle ait pris les décisions qui lui convenaient pour combattre les préjugés et attentes familiales rationnelles. Surtout quand on est d’origine du Laos et que ses parents ont dû quitter le pays pour se réfugier sur une terre d’accueil.
On comprend que ce ne doit pas être aisée de convaincre ses parents quand sa vie est la musique et qu’on peut en vivre. Alors que les parents rêvent d’enfants installés avec un vrai métier. Que jouer de la musique n’est pas un jeu.

La pianiste Estelle Sisommay s’est formée à Bagnols-sur-Cèze, elle est diplômée du conservatoire du Grand-Avignon elle étudie à la Haute école de Genève.

La question ne se pose plus, explique la jeune femme de 24 ans. La fierté a remplacé l’inquiétude parentale légitime : « Après le bac, j’ai suivi une année en médecine pour apprendre un métier conventionnel. Ce n’est pas un choix par hasard. Je crois en fait que je me suis guérie moi-même. Au cours de cette année, je me suis rendue compte comme la musique me manquait. Je sais que le piano est un refuge. Petite, je voulais jouer  de la contrebasse ou de la harpe, des instruments grandioses.»
Si des enfants sont précoces en commençant la musique, sachant tout juste marcher, Estelle Sisommay a pris son temps : « La musique est venue naturellement à moi. J’ai commencé à 10 ans au conservatoire de musique de Bagnols-sur-Cèze. Mes parents voulaient que nous ayons une activité. Ma grande sœur de huit ans mon aînée a fait de la guitare classique. En allant écouter des auditions que j’ai eu envie de faire du piano. Là-aussi, j’ai failli arrêter et puis j’ai rencontré Caroline Khatchatourian (NDLR : aujourd’hui directrice du même conservatoire). Elle a trouvé les mots et je me rends compte ce tout ce qu’elle m’a apportée dans mon choix de vie. C’est important aussi que le professeur trouve les bons mots. »
Après le conservatoire de Nîmes et d’Avignon, après avoir quitté la faculté, Estelle Sisommay enseignera trois ans à Rochefort-du-Gard : « Je compte une soixantaine d’élèves. » Enseigner c’est savoir et savoir est un puits sans fonds. Consciente de ses lacunes, la jeune pianiste a décidé de progresser encore et encore : « J’ai présenté et réussi le concours de la Haute école de musique de Genève et je suis sur le site de Neufchâtel. J’ai l’impression que Caroline Khatchatourian me guide ou que je suis imprégnée de son parcours.» Dans ses goûts aussi confie-t-elle avec une préférence pour la mélancolie slave : « J’aime les romantiques russes comme Rachmaninov ou Scriabine notamment grâce à l’enseignement que m’a apporté Serguei Milstein en qui j’ai une immense reconnaissance. Je ne sais pas si je suis moi-même romantique. » A son tableau des préférences, l’étudiante genevoise ajoute Beethoven : « C’est pour son côté masculin. Je n’ai pas beaucoup d’attirance pour les Viennois, mais je pense que je vais y arriver avec Marc Pantillon. »
Une question qu’elle approfondit en tentant de trouver une définition plus resserrée et voir si elle lui correspond. Revenir aux études l’aidera à se comprendre. Dans ses études supérieures Estelle Sisommay a la boulimie d’apprendre. Elle comble les lacunes dit-elle : « Je viens de tellement loin. » Quand une lacune est comblée elle en découvre d’autres en faisant sienne cette devise de Socrate : « Je ne sais qu’une chose, c’est que je ne sais rien. »

La pianiste Estelle Sisommay s'est formée à Bagnols-sur-Cèze, elle est diplômée du conservatoire du Grand-Avignon elle étudie à la Haute école de Genève.

La pianiste Estelle Sisommay confie que le piano est son alter ego. Il correspondant à son caractère solitaire.

Humilité quand tu nous gagnes.
Ce qu’elle sait c’est le piano est son alter ego : « Il me correspond. Je suis plutôt solitaire, ça ne veut pas dire que je ne suis pas sociable. Dans les écoles, on voit que le pianiste est souvent isolé. Il peut jouer plus longtemps sans se fatiguer. Ce n’est pas comme les vents qui fatiguent plus vite. »
Ce qui attire la pianiste, c’est la musique de chambre. Estelle Sisommay en apprécie la communion entre les instruments : « Contrairement à l’idée reçue, il n’y a pas de chef, chacun à un rôle à tenir. » Estelle Sisommay se refuse à la jalousie envers ses collègues plus doués ou qui réussissent mieux : « Je suis plutôt admirative des gens qui jouent mieux que moi. On apprend aussi car la bonne musique permet de s’élever. Je n’aime pas cette idée de concurrence. On a tous des lacunes. Certains musiciens sont plus ou moins chaleureux. Combler nos défauts est le combat de toute une vie. » 
Pour elle, l’enseignement dépasse ses attentes de musicienne : « Je pense que c’est un engagement. Et si on arrive à installer une relation forte avec ses élèves pour qu’ils continuent alors qu’ils voudraient arrêter, il y a chez l’enseignant un côté humanitaire. » C’est aussi un engagement à contre-courant de l’immédiat ambiant : « Enseigner c’est aussi ça de faire comprendre que le plaisir est dans le travail pour réussir un morceau difficile. Et pour cela il faut pratiquer et travailler. C’est le rôle du professeur et chacun a sa pâte.»

Bruno ALBERRO

 

Où entendre Estelle Sisommay ?

  • Le 17 décembre en audition publique à la Haute école de Musique à Neufchâtel en Suisse ;

Renseignement à Estelle Sisommay