Le roulement des R dans sa gorge trahit ses origines d’Asie mineure, mais son français est sans faute. Les quatre années passées en Belgique y sont pour quelque chose. Aujourd’hui la pianiste arménienne Lilit Grigoryan vit en Allemagne, le pays où elle travaille le plus, dit-elle.

Quand on est Arménien, on reste sensible à ce qui se passe dans cette région d’Asie mineure où l’actualité demeure présente avec des conflits incessants. La pianiste Lilit Grigoryan n’y coupe pas tout en étant résidante en Allemagne où elle a élu domicile. Le travail l’a entraînée de l’autre côté de la frontière belge après avoir passé quatre ans dans le Plat-Pays pour poursuivre sa formation. Un départ de son pays sans regret assure-t-elle : «  J’avais dix-huit ans et j’ai eu l’opportunité de venir en Europe dans le cadre d’un programme des Jeunes talents arméniens. Je retourne souvent dans mon pays où j’ai de la famille. » 

La pianiste Lilit Grigoryan. Photo crédit Neda Navaee

La pianiste Lilit Grigoryan estime que les artistes sont des instruments de paix. Photo crédit Neda Navaee.

Vivre hors de chez soi, c’est vivre comme un étranger. Une lapalissade, direz-vous. Avec raison ou presque. Le presque est quand on subit la discrimination. Lilit Grigoryan raconte un voyage en train en Allemagne où une conversation s’engage avec deux voisines. Les deux dames heureuses de partager leur banquette avec une pianiste. Puis la conversation dérive vers les réfugiés,  s’envenime ou presque jusqu’à ce que la jeune femme fasse remarquer qu’elle-même est réfugiée ou presque…

La pianiste a réagi sur les réseau sociaux quand un ténor azéri a refusé de chanter en duo avec une cantatrice arménienne : « Il a expliqué que c’était pour des raisons politiques. Je croyais que la culture ou la musique pouvait rassembler au contraire et parler d’humanité. Je m’exprime rarement mais là je l’ai fait. Ce refus de chanter m’a mise en colère. »

La pianiste en livre sa raison politique : « Au moment de l’indépendance, l’Arménie a voulu récupérer un territoire ancestral qui se trouvait en Azerbaïdjan. Ce qui a entraîné une guerre entre les deux pays. Ce qu’on ne sait pas, c’est la raison du refus. Est-ce une raison patriotique, ou est-ce que c’est une raison personnelle ? Je pense que les artistes sont encore écoutés et qu’ils peuvent agir pour la paix. Si nous avons des cultures différentes, nous sommes tous des humains. La guerre, c’est toujours horrible et on se doit de trouver des solutions pour l’éviter. »

Lilit Grigoryan suit l’actualité de cette région du monde et mesure la souffrance des populations : « C’est triste qu’au XXIe siècle, on ne parvienne pas à communiquer pour vivre en paix. »

La jeune femme revient à ce qui la touche : la musique. Elle était petite quand elle a posé ses doigts sur un piano et c’était l’époque où les pays de l’ex-URSS rêvait d’indépendance. Elle ne sait pas très bien si l’enseignement musicale était dans la lancée de l’école russe : « C’était dans les années 1950-1960. Les professeurs étaient à Moscou ou Saint-Petersbourg. Le deuxième professeur que j’ai eu était un des fondateurs de l’école de piano en Arménie. Je fais partie de la troisième génération de pianistes formée en Arménie. Je pense que je suis une des conséquences de cette école. »

Maintenant que Lilit Grigoryan enseigne en Occident, elle peut comparer les formations : « En Allemagne, on a les élèves une fois par semaine une demi-heure. Quand j’étais à l’école en Arménie, j’avais deux heures de piano et deux heures de solfège. Après, on avait encore deux heures d’histoire de la musique et d’harmonie. Je n’avais pas besoin d’avoir des cours particuliers, même si ma mère est musicologue. Du coup j’avais des cours naturellement à la maison. »

Hay Festival WalesLa question ne s’est pas posée si elle devait devenir pianiste, quant on a dix ans et qu’on remporte un premier prix à un grand festival de jeunesse dans son pays. Que d’autres récompenses ont suivi. Comme jamais l’idée ne lui est venue de changer d’instrument : « Le piano rappelle un orchestre et je ressens une connexion physique et il suffit à lui-même. On peut jouer seul ou avec d’autres instruments. Le piano, c’est la voix humaine. »

En Arménie, le piano renvoie la personnalité du compositeur Katchatourian. Pour Lilit Grigoryan, c’est à la fois vrai et pas vrai : « Il n’est pas le seul, comme il y a eu un club des cinq en Russie (NDLR : au début du XXe siècle), il existe aussi un club des cinq Arméniens. »

Elle rappelle au besoin l’héritage laissé par Komitas ou Babadjanian.

Bruno ALBERRO

 

Photo crédit Neda NAVAEE

La vidéo de Lilit Grigoryan

Où entendre Lilit Grigoryan ?

 

  •  Le samedi 16 mai à 15 heures au Château de Ville d’Avray ;
  • Le mercredi 27 mai au Hay festival Wales en récital seul ;
  • Le mardi 28 mai à 21 heures en récital au festival Beethoven à Rostock ;
  • Le 13 juin à 18 heures au Brahms Gesellsschaft  Schlesswig-Holstein au « Watt’n Hus » Büsum ;
  • Du 20 au 24 juillet en master classes à Rostock.

Renseignement à Lilit Grigoryan