Un début carrière dans le chœur de l’opéra de Tours, une suite comme soliste, une troisième facette comme professeur de chant au conservatoire de Paris XVIIIe. La vie de Sophie Hervé est musicale pour celle qui voulait devenir journaliste, convaincue que la construction de la voix est primordiale pour durer. Pour elle, les deux mois d’arrêt forcé auront des conséquences sur la résistance à chanter et à enchaîner les arias.

Chanteuse lyrique Sophie Hervé

Chanteuse lyrique Sophie Hervé est diplômé de Paris VII en psychopathologie et physiologie de la voix. Elle rédige un livre sur sa pédagogie du Chant : « La voix(e) du périnée »

Tous le disent, il faut comparer les chanteurs lyriques à des sportifs de haut niveau. Comme les athlètes privés de stade, les artistes ont été privés de scène. Tous deux manquent d’épreuves, de compétitions, de tests, compare Sophie Hervé. Au conservatoire de Paris XVIIIe, elle prodigue des cours à de jeunes élèves, elle conseille aussi des artistes confirmés dont la voix est en souffrance, explique l’enseignante, avec une seule consigne : construire sa voix et montrer la voie.

Ces mois d’arrêt forcé auront-ils des conséquences pour les chanteurs ? « Si la voix est bien en place, ce temps de confinement ne la changera pas, si elle était dégradée, elle restera dégradée. Ce qu’il va manquer, c’est le training, l’endurance. Ce sont des athlètes de la voix. Le corps aura perdu sa capacité aux efforts, mais ce ne sera pas un problème de technique. Il faut craindre aussi une perte d’enthousiasme et de motivation. Mais ça reviendra dès que les artistes se verront proposer à nouveau des contrats. Il y a déjà des répétitions présentielles.»

Sophie Hervé a continué de travailler en visioconférence, elle a trouvé l’outil adapté à ces circonstances exceptionnelles, mais pas que. Au point qu’elle envisage d’intégrer cette expérience dans sa formation.

Plus que la pandémie, Sophie Hervé se révolte contre les pratiques en usage dans la profession, comme elle redoute l’attitude de professeurs ou de chanteurs animant des master-classes : « Souvent les jeunes pensent  que ces chanteurs réputés disent est la vérité, mais ce n’est pas toujours le cas et les mauvais conseils causent de grands dégâts.  Je rencontre des chanteurs en difficulté, ils ont entre 28 et 35 ans. Le problème c’est que la plupart ont des carrières courtes et qu’on demande plus d’avoir le physique du rôle que la voix.  Cette forme de jeunisme, c’est à quel prix et pour quelle durée ? Alors que la chaîne musculaire n’est pas installée. » Ce qu’elle redoute le plus, ce sont les comparaisons faites : « On entend trop qu’un tel ou une telle chante comme celui-ci ou celle là. Ou qu’on confonde mezzo colorature et soprano colorature alors que la voix n’est pas installée. Si on imite Van Gogh, ce n’est pas son tableau, ce n’est pas du Van Gogh. Pour la voix, c’est pareil, chacune est unique. Il faut savoir qui on est et ce qu’on est capable de faire. » Cette inspiration s’appuie sur sa propre expérience : « Je suis une fan de Jessie Norman, mais je ne l’écoutais plus. Je ne voulais pas être tentée de lui ressembler.»

Aucune forme de vantardise quand elle assure qu’elle est capable de redonner de la souplesse à tout larynx en souffrance : « Avec trente ans d’expérience, je me sens sûre de moi. J’ai vu tous les cas, dans toutes les circonstances. » Elle s’amuse à donner des couleurs aux voix qu’elle entend : le bronze pour Béatrice Uria-Monzon, le soleil pour Roberto Alagna. Elle aimerait bien d’ailleurs travailler avec le ténor français : « C’est la plus belle voix française et j’aimerai qu’elle dure. Je suis sûre qu’on peut chanter tardivement. On a eu des exemples de chanteurs qui tenaient des premiers plans à 73 ans. »

Elle regrette d’ailleurs que les distributions ne soient pas intergénérationnelles : « Aujourd’hui, les jeunes chanteurs jouent des rôles de vieux. Je me souviens avoir beaucoup appris avec des chanteurs expérimentés. »

Bruno ALBERRO

 

Renseignement à Sophie Hervé