Oublier le temps de l’horloge et les décalages horaires, penser au temps consacré à sa fille de trois ans, reconstruire un duo avec son époux chanteur. Durant ces deux mois, Camille Delaforge s’est retrouvée à la maison, au propre et au figuré. Une façon aussi pour la chef et claveciniste de nourrir et développer des projets artistiques.

« Ça m’a fait bizarre de rester à la maison, alors que je suis habituée à parcourir le monde ». Cette réponse spontanée de Camille Delaforge est le lot commun des artistes interprètes, comme la chef et claveciniste, privée de tournées et de concerts, privée de voyages : « Ça n’a pas été un effondrement, ces deux mois m’ont permis de me recentrer et de développer des recherches artistiques. Il a fallu d’abord me reconstruire car je n’avais pas l’habitude de rester moi. C’est riche sur le plan humain. Les voyages m’aident à me nourrir. J’ai dû m’adapter à la situation et trouver un autre équilibre. Avec mon mari chanteur, Guilhem Worms, nous avons reformé notre duo : Wasserfall. Nous avons cherché un nouveau répertoire. »

Camille_Delaforge Photo crédit Charles Plumey

Camille_Delaforge a coudoyé sept ans Nathalie Stuzmann au sein Orfeo 55. Photo crédit Charles Plumey

Un travail quelque peu perturbé par la présence de leur fille de trois ans qui a profité de la présence de ses parents jour et nuit : « Elle voulait jouer avec nous. Elle pousse son père quand il est au piano pour prendre sa place, ou elle joue à quatre mains avec moi. »

Ça ne signifie pas que Camille Delaforge souhaite en faire un enfant précoce : « Je la laisse faire qu’elle découvre par elle-même. Je ne veux pas choisir pour elle. »

Elle se souvient d’elle, enfant, devant son piano : « Mes parents voulait bien que je commence, mais mon père m’a dit que je devais aller au bout de mon projet. C’était un piège, car en travaillant un instrument, ce n’est jamais fini. »

Etre chef d’orchestre est aussi dans la continuité de son éducation : « Quand on dirige, on doit aller au bout des choses et de faire dire ce qu’on a en nous. C’est la gestion d’un ensemble. »

Elle a pour exemple Nathalie Stuzmann avec qui elle a travaillé durant sept ans : « C’était très intéressant de côtoyer cette femme chanteuse qui voulait devenir chef et elle a travaillé pour ça. C’est nécessaire d’affirmer ses envies pour se construire. »

Camille Delaforge

Camille Delaforge à la tête de Il Caravaggio est attendue au festival de Sablé.

Camille Delaforge définit en une phrase les qualités d’un chef : « Beaucoup de concentration. Faire attention à ce qu’aucun musicien ne se perde sur le chemin et que tout le monde se sente à l’aise. Il faut avoir les sens en alerte à la moindre seconde. Pour moi, le chef fait de la musique, c’est lui qui décide et prend le dessus. Il décide des respirations, les silences, c’est musical. Avant, pendant et après, c’est de la musique. Même la gestion  d’avant concert, d’arriver et de commencer directement ou au contraire de prendre son temps c’est le chef. Et ça fait partie du concert. »

En compagnie de la chanteuse Anna Reinhold, Camille Delaforge a fondé l’ensemble Il Caravaggio qu’elle dirige de son clavecin, gardant son instrument sous les doigts.

On pourrait la penser comblée de ses expériences au sein d’ensemble prestigieux ou d’avoir fait le tour du monde des salles de concerts, il lui manque toutefois de devenir directrice artistique  d’un festival : « J’en rêve. J’aimerai travailler à ça. »

Ce que Camille Delaforge aimerait dans un premier, c’est que certains concerts d’été soient maintenus, en particulier au festival de Sablé dans la Sartre. On peut l’espérer, Il Caravaggio est affiché pour le 29 août. En attendant, elle pense à la sortie de son prochain disque consacré à la musique italienne du XVIIe siècle. Camille Delaforge ne voit pas dans un CD un objet désuet, bien au contraire : « Je pense plutôt qu’il peut être un objet artistique ; il faut le repenser qu’il ne soit pas un objet de consommation. Il faut défendre le disque comme un objet de luxe et non un objet plastique. Les gens aiment bien avoir de belles choses. Et puis enregistrer un disque, c’est se prêter à un exercice difficile. C’est l’instantané d’un moment. »

Parmi les projets de Camille Delaforge, soutenue par l’agence RSB Artists, une résidence au Centre de Versailles pour défendre des projets originaux autour des littératures d’Élisabeth Jacquet de la Guerre et en fouillant l’écriture de Mademoiselle Duval (NDLR, son prénom est inconnu). Si la première avait les honneurs de la cour de Louis XIV, sa cadette de quelque 40 ans a été la deuxième compositrice à l’Opéra de Paris. Camille Delaforge reprendra d’elle Les Génies, écrit en 1736.

Ses parents avaient raison de la pousser à aller au bout de choses, Camille Delaforge n’a pas encore atteint ses objectifs et n’est pas au bout de son propos sur ce chemin sans fin de la musique.

Bruno ALBERRO

 

Où voir Camille Delaforge ?

  • Le 29 août à 14h30 au festival de Sablé avec l’ensemble Il Caravaggio. Au programme « La muse de l’opéra ».

Renseignement à Camille Delaforge