On le sait les acteurs culturels souffrent. On le sait la souffrance ne se mesure pas, elle n’a pas de point de référence. Comme titulaire au pupitre des clarinettes de l’orchestre de l’Opéra national de Lorraine, la souffrance de Noémie Lapierre n’est pas pécuniaire, ses sentiments grossissent du besoin de s’exprimer devant un public et non d’avancer dans l’inconnu. Cette semaine, elle va participer à l’enregistrement de la IIIe symphonie de Schubert, sous la direction de sa nouvelle cheffe Marta Garbolinska. Cofondatrice du trio Hyades, la clarinettiste cherche ses dates pour cet été. Une est déjà cochée sur son agenda, ce sera le 16 juillet à Venterol dans la Drôme.
Il y a-t-il un curseur de la vie qui vous dit : ici, vous êtes bien ; là , vous souffrez ? On le sait dans la vie, ce n’est pas ainsi que ça se passe. On peut le constater au fil des interviews des acteurs du monde culturel, privés de se produire en spectacle, depuis plusieurs semaines. Noémie Lapierre est de celle-ci, même si elle minimise l’impact du confinement par rapport à d’autres musiciens, ou artistes, vivant d’autres galères, par manque d’argent. Consciente de sa chance de ne pas être comme tant de musiciens ou de chanteurs sans ressources ou presque.

La clarinettiste Noémie Lapierre est titulaire de l’orchestre de l’Opéra national de Nancy.
Depuis 21 ans, elle occupe le pupitre de clarinettiste, comme co-soliste, au sein de l’orchestre de l’Opéra national de Lorraine : « Je ne suis pas dans la même situation que beaucoup de mes confrères, puisque je suis salariée. Ce qui me manque, c’est de jouer devant un public. Toutes nos représentations ont été annulées à l’Opéra de Nancy (NDLR : Depuis mars 2020). Et nous n’avons pas de visibilité. »
Un peu de baume au cœur, néanmoins, pour sortir de la monotonie du moment. Noémie Lapierre se réjouit de la nomination à la tête de l’orchestre de la cheffe polonaise de 32 ans, Marta Gardolinska : « Mon sentiment premier est un soulagement total de voir cette nomination arriver ; ça fait plus de 2 ans que l’orchestre de l’Opéra fonctionne sans chef titulaire, et ça pose divers problèmes. Je n ai pas eu encore l’occasion de jouer sous sa baguette, suivant les prochaines annonces gouvernementales, je devrai jouer une symphonie la semaine prochaine avec elle, et je ne vous cache pas que je suis très impatiente.»
Ce jeudi 4 février, Noémie Lapierre sera dans la fosse pour enregistrer un concert qui sera diffusé le 18 février à 20 h sur France-Musique.
Le Trio Hyades pour vivre la musique autrement
Avec la violoniste Hortense Maldant-Savary et la violoncelliste Isabelle Le Boulanger, deux collègues de la phalange de Lorraine, Noémie Lapierre a monté le trio Hyades : « Ce sont les Nymphes de la pluie dans la mythologie grecque. Ça me rappelle ma Normandie natale. Souvent les ensembles de musique de chambre choisissent le nom d’un compositeur. Mais presque tous sont pris. Ou alors il fallait trouver un compositeur qui a laissé une pièce connue pour violon, violoncelle et clarinette, comme notre ensemble. Mais peu ont écrit pour nos instruments. Comme nous trouvons ce nom Hyades poétique, nous l’avons retenu. Hyades sont les filles d’Atlas.»
Afin de vivre pleinement sa musique, de pouvoir mettre à profit ses heures d’études à répéter les pièces du répertoire, Noémie Lapierre ne souhaitait pas se limiter à son travail d’orchestre : « L’orchestre est une masse, peut-être qu’on la ressent différemment pour les instruments à vent. Les cordes sont vraiment dans cette sensation de masse et parfois, les musiciens ne s’entendent pas jouer. La musique de chambre permet de développer son jeu à soi, de jouer et de s’exposer, de vivre quelque chose de plus personnel. Ce qui est bien en musique de chambre, c’est de pouvoir choisir son répertoire et aussi tout bêtement la façon de nous habiller. A l’Orchestre, on se présente en noir ; là, en trio, on peut décider de porter une veste rouge. »
Des concerts de musique de chambre pour s’exprimer en dehors de l’Orchestre
On pourrait penser que la saison libère peu de temps pour le trio ou le quatuor, toutefois Noémie Lapierre corrige cette impression : « Nous sommes trois clarinettistes et souvent nous tournons ; car certains ouvrages ne nécessitent que deux clarinettes. Et puis dans la saison, il y a des trous dans le programme où nous pouvons nous libérer. Quand il n’y a pas d’opéra, on est souvent libre le dimanche. Le trio est né, car nous étions amies à la Ville et que nous avions envie de faire de la musique ensemble, en dehors de l’orchestre. »

Hyades, en trio ou en quatuor cherche des dates pour cet été et mettre en avant un répertoire singulier.
Elle glisse que souvent le trio invite une amie pianiste, Lise Baudoin ; ainsi constituer un quatuor et élargir son répertoire. Les quatre filles peuvent ainsi mettre à leur programme la littérature du Vauclusien Olivier Messiaen. Si les littératures originales pour ces quatre instruments ne sont pas pléthoriques, alors comment l’étoffer ? Noémie Lapierre répond : « Nous avons une composition de Nicolas Bacri (1961-), écrite pour notre formation et une autre de Hans Gal (1890-1987), compositeur autrichien né à la fin du XIXe siècle, que je situe entre Mendelssohn (1809-1847) et Dvořák (1841-1904). Un compositeur américain aussi Peter Schikele (1935-) a écrit pour cette formation. Nous avons aussi fait des arrangements pour le trio, tel « Clair de lune » de Claude Debussy (1862-1918). On a recherché la même douceur.»
Au cours de cette période d’incertitude, d’aucuns mesurent toutes les peines à trouver la motivation de faire ses gammes ; quand il n’y a pas d’objectifs définis, ni de date de fin de pandémie : « Ce serait difficile physiquement aussi. Je souffrirai d’un manque d’endurance. Je ne sais pas si je serais capable de jouer un concerto de 45 minutes ou un concert d’une heure et demie, mes lèvres craqueraient. Ce serait le même problème pour les autres pupitres à vent. Même si je ressens le besoin de jouer, même si nous jouons un peu dans des crèches ou des maisons de retraite. On a du mal à répéter quand on n’a pas de concert. Après je travaille tous les jours, je m’entretiens. Le plus dur, c’est de ne pas savoir quand on va à nouveau travailler. C’est dur pour le moral. Mais j’ai énormément de chance d’avoir un salaire. Je ne m’ennuie pas entre les arrangements et les recherches de concerts.» Et la couture, activité où Noémie Lapierre s’adonne ; parmi ses passe-temps, elle cite l’escalade qu’elle pratique en temps normal. Et là, comme beaucoup d’adeptes des murs en salle, ou en gymnase, elle doit laisser baudrier et chaussons au placard.
Un agenda estival à enrichir
Si la saison, opératique et symphonique, semble bien compromise, Noémie Lapierre espère que l’agenda estival va se noircir et que d’autres dates vont s’ajouter à celle du vendredi 16 juillet. Le trio Hyades se produira à Venterol dans la Drôme, pour l’ouverture du festival Parcours artistiques, dans ce village situé vers Nyons. Nyons, patrie de l’écrivain Barjavel, célèbre pour ses romans de science-fiction et d’anticipation.
Aux divers organisateurs qu’elle contacte, Noémie Lapierre propose les deux formules : en trio ou en quatuor. Tout est question de budget, avec comme pierre angulaire les finances des associations organisatrices : « C’est vrai le piano permet d’étendre le répertoire, mais quand le piano n’est pas sur place, ça oblige de le louer. »
Photos crédit Lætitia LECUYER et Yannick HERPIN.
Où entendre Noémie Lapierre ?

Le trio Hyades se produit aussi en quatuor avec la pianiste Lise Baudoin. Photo crédit Y.P.
- Le jeudi 18 février à 20 heures à France musique avec l’orchestre de l’Opéra national de Nancy sous la direction de Marta Gardilinska, nouvelle cheffe attitrée de la phalange. Au programme de cette soirée : Antiche arie et danze de Repighi ; le 1er concerto pour cordes et trompette de Shostakovitch et la symphonie n°III de Schubert.
- Le vendredi 16 juillet à 21 heures, l’église de Venterol, dans la Drôme, dans le cadre du festival Parcours artistiques.
- Le samedi 17 juillet à La Chapelle de Sainte Jalle ;
- Le dimanche 18 juillet à 18 h à Vaison-la-Romaine à l’église de Haute-Ville
- Le lundi 19 juillet à Poet Laval
Au programme des pièces de Nicolas Bacri ; Anton Dvořák ; Claude Debussy ; Darius Milhaud ou Astor Piazzolla, dont on fête en cette année 2021, les cent ans de sa naissance.
Renseignement à Parcours artistiques
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