Bruno Reinhard produit dans son petit atelier de Caromb en Vaucluse, ses flûtes à bec de l’époque baroque ou Renaissance. Cela fait 40 ans qu’il s’est installé en Provence et vingt dans ce village du Comtat Venaissin. Tous les instruments sont fabriqués à la main avec des outils d’époque ou des copies. Il dit avoir profité de l’engouement pour la musique ancienne revenue, au goût du jour à la fin des années 1970.

Bruno Reinhard est aussi professeur de musique et concertiste.
Bruno Reinhard, facteur de flûtes à bec à Caromb. Il dit s’être trouvé au bon moment et à la bonne époque pour vivre sa passion de la flûte ancienne ; au bon âge, quand se réveillait la période du renouveau de la musique baroque. C’est l’instant où Bruno Reinhard a 23 ans, au milieu des années 1970. Pour les passionnés des patronymes, il manquerait un t à la fin de son nom, Bruno Reinhard s’en explique : « C’était pour enlever le côté trop germanique de notre nom de famille, quand l’Alsace était allemande. » Dans cette fin de décennie, il s’est lancé dans la fabrication des flûtes à bec, baroque et Renaissance : « Les musiciens baroques avaient ce côté bohème, cette musique foisonnait d’idées. On faisait des recherches. Au début le son n’était pas super et les musiciens faisaient ce qu’ils pouvaient. »
Pour son premier instrument, en commençant par le sien, il a mis en pratique ses qualités manuelles. Sa première flûte a été fabriquée à la demande de son professeur qui attendait que son élève délaisse son instrument issu d’une chaîne industrielle, c’était une flûte en ébène qu’il a conservée d’ailleurs et montre au besoin : « La flûte est un instrument très ancien. On en trouve en os datant de la préhistoire. On en a conservé quelques une en bois du Moyen-âge. J’ai eu l’occasion d’en restaurer quatre dans un musée à Paris. J’ai pu aussi les dupliquer. Elle a évolué au fil des siècles, au XVIIIe siècle surtout. Après, ont été inventé les clefs pour boucher plusieurs orifices. Pour ma première flûte que j’ai fabriquée, je suis parti d’un plan d’un modèle du XVIIe siècle. Il avait été présenté dans une revue par un facteur de flûte canadien. Je l’ai reproduite avec la chance du débutant. Trois de mes amis m’ont demandé de leur en fabriquer une. Et puis quand j’ai fait le choix de devenir facteur de flûtes j’ai eu encore de la chance, j’ai eu une commande de quinze instruments. »

Bruno Reinhard s’est installé en Vaucluse en 1980. Il réside depuis 20 ans à Caromb.
Le buis le bois idéal dont on fabrique les flûtes
C’est là qu’il a quitté l’Alsace pour venir s’installer en Vaucluse, nous sommes alors l’année 1980 : « Je n’avais pas envie d’habiter la ville. Hormis les 6 ans que j’ai passé en Haute-Savoie, j’ai vécu en Vaucluse à Pernes-les-Fontaines, Ville-sur-Auzon et depuis vingt ans à Caromb. »
Dans son atelier sèchent des morceaux de buis qui viennent de la région, quelques érables aussi importés. Aujourd’hui, Bruno Reinhard travaille des bois coupés en 1984 : « Le buis est celui qui convient le mieux, c’est le plus dense, en Europe du moins. On peut le comparer à l’ébène. On ne tourne pas le cœur du bois, mais à côté dans des quartiers, pour ne pas qu’il vrille. »
Les mêmes outils que ceux des planches du dictionnaire Diderot et d’Alembert
L’artisan ne réalise que des flûtes, pas de hautbois, pas de basson ni galoubet, l’instrument de tradition provençal, même si souvent on lui demande. Tout est fabriqué à la main, même si le tour est électrique et non plus à arc ou à pédale. On voit Bruno Reinhard poser son outil à plat sur un support et pénétrer dans le cylindre de bois pour le modeler, creuser des gorges ou des rainures. Il se lève, prend quelques outils au râtelier, s’avance vers le mur où est scotchée une gravure représentant des outils : « Regardez ! Ce sont les mêmes que ceux du dictionnaire de Diderot et d’Alembert. Ça n’a pas changé. Et quand on n’a pas l’outil, on le fabrique, celui-ci a été fait à la lime. »
Au premier regard, ça a l’air simple : on creuse un cylindre ou un cône, en une ou plusieurs parties, selon la longueur de l’instrument ; on met une embouchure, les trous faits, c’en serait fini. Bruno Reinhard sort une planche et montre que c’est plus complexe à reproduire : « En fait l’intérieur n’est pas lisse. La fabrication a évolué, cela fait comme des vagues à l’intérieur. Il faut donc prendre toutes les cotes exactement, pour les refaire parfaitement. »
Cela ne veut pas dire que les flûtes qui sortent de son atelier conviennent à tout le monde : « On sait que certains la trouveront idéale, pour d’ autres elle ne leur convient pas. J’ai eu l’exemple d’un musicien professionnel qui m’en avait acheté une. Il me rappelle quelques jours me disant qu’elle sonnait faux. Je l’ai reprise et ça n’allait toujours pas. J’ai remboursé le client en lui disant de trouver un facteur de flûte qui lui corresponde. Cette même flûte a été rachetée par un autre musicien qui en a été content. »
En France, on compte douze facteurs de flûte à bec
Ce qui est sûr c’est qu’il reconnaît ses instruments : «Nous avons tous un son singulier. » Une signature en somme, comme celle qu’il grave sur l’embouchure, une fois l’instrument fini. La flûte n’est pas livrée à la dernière finition. Non ! elle est jouée d’abord, assure Bruno Reinhard : « Je la joue cinq heures ce qui permet de l’humidifier. Et moi de m’entretenir. Puis j’ai une amie qui joue aussi cinq heures. En tout, elle a joué dix heures.» Rappelant qu’il donne aussi des concerts et qu’il est aussi membre au sein de l’ensemble Les Buis sonnant, composé de professeurs d’Avignon.
Il explique qu’au moment de s’installer, ils étaient trois en France ; maintenant ils sont douze artisans : « Il n’y a pas de concurrence entre nous, au contraire même, on s’échange beaucoup d’informations. Avant j’avais un an de travail d’avance, maintenant j’ai deux ans et demi de commandes. Il y a plus de concurrence chez les musiciens. » En sachant qu’il faut entre une semaine et un mois pour en réaliser une, selon la taille. On peut aussi choisir sa tonalité et sa tessiture.
Sa clientèle provient des musiciens professionnels ou amateurs éclairés, des professeurs, ou même des élèves qui sont en troisième cycle, à qui l’enseignant demande de jouer avec un instrument de meilleure qualité.
D’aucuns pourraient penser qu’il aurait aimé qu’un de ses quatre enfants reprennent l’outillage et poursuivre l’ouvrage paternelle, mais ce n’est pas le cas : « J’ai formé une jeune fille et ça se passe très bien, elle s’est installée à Strasbourg et on continue à s’échanger des informations. Je n’ai pas de secret à conserver. » Même pas celle de la patine du bois : « On le passe à l’acide nitrique, c’est ce qui donne un ton orangé. La teinture agirait comme un négatif de photo, elle foncerait le bois et éclairciraient les veines. »
- Les outils sont identiques à ceux du dictionnaire Diderot, d’Alembert
- Les flûtes sont signées
- Les flûtes ont différentes tessitures et peuvent être de gamme différente.