« J’ai oublié ce que c’était d’être dans une salle de concert », soupire Polina Streltsova. La violoncelliste russe vit à Paris. Ce qu’elle aime dans son instrument et qui fait qu’elle a opté pour celui-ci et pas un autre, c’est la sensation qu’il reproduise la voix humaine avec les couleurs de ses émotions. La recherche de l’émotion au cœur de sa démarche tant humaine qu’artistique. Si comme pour beaucoup d’artistes, son agenda est fermé, elle se fait une joie que son concert de fin d’études à l’Ecole normale “Cortot” se fasse devant un public. En dehors de la musique, Polina Streltsova s’engage. Avec d’autres amies, l’instrumentiste s’est mobilisée pour collecter les fonds pour qu’une jeune fille puisse se faire opérer d’une tumeur au cerveau.

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Polina Streltsova donnera un récital ce 5 mai dans le cadre de sa fin d’études.

Cela fait sept ans que Polina Streltsova a posé violoncelle et valise à Paris. La Moscovite terminera ses études par un concert à la salle Cortot de l’École normale, ce 5 mai prochain. On a pu l’entendre il y a peu sur la Toile pour un concert solidaire afin d’aider une jeune fille russe de 20 ans, à réunir quelque 40000 dollars pour financer l’opération d’une tumeur au cerveau. Une cause qui lui semble juste pour lui apporter son concours : « Le concert a permis de réunir 2000 euros. Il y a eu un autre concert avant mais il manquait encore 13000 euros. Il fallait élargir le nombre de donneurs et pour ça il fallait informer plus de personnes, continuer à communiquer. En général, je vois passer ce genre d’annonce sans savoir si c’est vrai, sans connaître la personne. Là, c’est différent ; j’ai été informée par une amie musicienne qui connaît personnellement la malade. C’est quand même injuste de laisser mourir une jeune fille de 20 ans parce qu’il manque 40000 dollars. » Grâce à tous ses relais solidaires, la jeune fille sera opérée en urgence en Israël. La bonne nouvelle !

Est-ce à dire que l’artiste se doit aussi d’être citoyen ? « Je ne peux pas parler pour tout le monde. C’est se demander si l’artiste doit être politique dans le sens défini par Platon ou Socrate ? c’est le choix de chacun. Certains artistes sont très engagés, ils ont des certitudes ; on en voit dans des gouvernements. D’autres disent que ce n’est pas le problème de l’artiste, que son rôle est de défendre son art. En France, c’est différent de la Russie, ici j’ai le sentiment que beaucoup sont engagés et qu’ils s’expriment. Si je réagis c’est sur des points concrets. Il est important, avant de réagir, d’avoir une connaissance politique et juridique avant de s’exprimer. »

Le choix de la France ? Une question de rencontre !

On pourrait penser que le choix de Polina Streltsova de venir poursuivre ses études musicales en France est lié à l’attirance plusieurs fois séculaires entre les deux pays. La violoncelliste nuance : « J’avais la possibilité d’aller en Espagne ou en Italie, en fait, j’ai choisi mon professeur, Jérôme Pernoo. Ce choix faisait suite à une série de stages que j’avais faite avec des professeurs qui venaient d’un peu partout. Après, c’est une question de rencontre. Mais Paris reste la capitale du violoncelle, c’est une longue tradition française. » Toutefois, la jeune femme remarque qu’il y a toujours cet attrait des Russes pour la France : « Ça dépend aussi du niveau culturel. Il existe une communauté de gens qui est sensible à l’histoire et la culture. Les Russes sont fascinés par la France, pour sa nourriture, les arts, l’architecture, grâce aux échanges culturels anciens. C’était commun que l’aristocratie russe parlât mieux le français que le russe. Je constate qu’il y a aussi cette même fascination des Français pour la Russie.»

« Je me rends compte que tout n’est pas tragique dans la vie et qu’on peut prendre les choses avec humour. »

Elle juge difficile de l’intérieur de définir cet âme slave qui intrigue tant les russophiles : « Si on rapporte l’âme slave aux auteurs ou aux compositeurs, alors ça date de cent ans et plus. Je dois regarder ça de l’intérieur et je n’ai pas assez de recul. Ce que je peux dire c’est qu’en Russie, on prend la vie au sérieux, pas comme en France. Je me rends compte que tout n’est pas tragique dans la vie et qu’on peut prendre les choses avec humour. »

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Polina Streltsova peint Rostropovitch comme une chance et un modèle.

Il est quasi impossible de parler violoncelle sans rappeler les traces laissées par son compatriote russe Rostropovitch dans l’histoire de son instrument : « C’est une chance pour nous, c’est une source d’inspiration. Mais il est tellement universel, qu’il est devenu citoyen du monde. On lui doit d’avoir su élever le niveau du violoncelle comme instrument soliste. Je n’étais pas née, mais on a cette image de Rostropovitch devant le mur de Berlin en 1989, lui qui avait été expulsé de son pays, il s’est donné les moyens d’être là pour la chute du Mur. »

Comment ne pas évoquer aussi les Suites de Bach, monument écrit pour son instrument, Polina Streltsova se livre : « C’est une question de goût, ce n’est pas obligatoire de les travailler, mais ce serait dommage de passer à côté, car c’est comme la philosophie, c’est une source inépuisable de curiosité pour des années et qu’on y découvre à chaque fois de nouvelles choses. Ce que je trouve dommage c’est qu’on joue toujours les mêmes pièces et je me sens un peu frustrée. »

C’est sans pour cette raison que le projet artistique de Polina Streltsova est autre qu’une vie de concertante ou au sein d’un ensemble ou d’un orchestre : « Je voudrais être une artiste polyvalente. J’aime la fusion des arts. Je suis intéressée par les transversalités avec un spectacle musical en faisant aussi la mise en scène. J’aime bien l’errance au sens large avec des textes empruntés à Cervantes ou Depardon, mais aussi par l’histoire de Suzanne Meloche contée dans “La femme qui fuit”, d’Anaïs Barbeau-Lavalette. »

En venant en France, sa belle surprise a été de découvrir Jean Cras, Rien d’étonnant, ce n’est pas un hasard. Comme compositeur et marin au long cours, il associe la musique et l’errance, et la langueur du temps à traverser les immensités des océans ou la steppe russe.

Bruno ALBERRO

 

Photo crédit HL MMOSCONI

Où entendre Polina Streltsova ?

Le 5 mai à l’école normale Cortot pour son examen de fin d’études. Au programme :

  • Luigi Boccherini Sonate pour violoncelle et basse continue G. 2 en do mineur
  • Tristan Murail Attracteurs étranges, pièce pour violoncelle seul
  • Benjamin Britten Sonate in C, pour violoncelle et piano
  • Bohuslav Martinu Variations Rossini pour violoncelle et piano.

Renseignement à Polina Streltsova

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