Quand il n’est pas en train de réaliser un violon, Christian Bayon regarde passer les avions de chasse. Sa première activité quand dans l’aéronaval, il les entretenait. Il a aussi quitté la Bretagne pour le Portugal. Quand d’aucuns pensent à la retraite, il rappelle que Stradivari était devant son établi à 93 ans.

Christian Bayon est un ancien de l'école des Mousses de la Marine nationale avant de devenir luthier à la fin de son premier contrat.

Christian Bayon est un ancien de l’école des Mousses de la Marine nationale, avant de devenir luthier à la fin de son premier contrat.

Il est des parcours singuliers, voire étonnants. On peut se demander comment on passe des ateliers avioniques du porte-avions Foch à celui de luthier. A moins d’avoir un peu d’imagination, d’être une adepte de la transversalité et de la transposition des savoir-faire vers d’autres disciplines.  C’est l’histoire peu banale de Christian Bayon. Il s’est fait un nom en 42 ans d’exercice à façonner des instruments de musique. A 65 ans, installé depuis 31 ans Lisbonne, il a hissé les voiles pour ouvrir un nouvel atelier à Amsterdam. L’histoire commence quand il a seize ans, Même raconté, on peut difficilement imaginer un gamin trainant son baluchon à l’école des Mousses de la Marine nationale. C’était une époque où de nombreux concours existaient après la classe de 3e.  Ils pouvaient vous amener à l’École normale, dans les trois armées, l’aviation civile, la SNCF, l’EDF, les grands entreprises. Lui a choisi la Marine. L’idée de voyage, sans doute, ou c’était une façon de prendre le large de sa famille : « Je voulais partir de la maison. » Il choisira l’Aéronavale pour s’embarquer sur le porte-avion Foch à réparer les Etendard et autres Cruisader : « C’est un travail intéressant, mais souvent répétitif. Par la suite, j’ai été affecté à la recherche de pannes. Ça me plaisait plus, mais j’avais du mal avec le système militaire. J’étais plutôt solitaire. » Son histoire remonte aux années début des années 1970, le mouvement hippy est encore en marche, celle avec la Marine s’arrêtera en 1979, à la fin de son premier contrat : « A cette époque, on voulait tous jouer de la guitare. Je me suis intéressé à sa fabrication. Mais j’ai préféré commencer par une mandoline, Après,  je me suis dit que si tu arrives à fabriquer un violon, tu arriveras à fabriquer une guitare. Vraiment par hasard, à la bibliothèque de Saint-Malo, j’avais trouvé un livre, où il était expliqué comment fabriquer un violon. Ce livre n’était plus édité, et il était introuvable. Alors j’ai payé l’amende comme si je l’avais perdu. »

C’est en autodidacte que Christian Bayon a commencé le métier. Il en cite les avantages et les inconvénients, d’autant qu’il n’était pas violoniste : «En procédant ainsi, la façon de réfléchir est différente par rapport à quelqu’un en apprentissage.  On doit penser à tout. De par ma formation et de mes études en physique, mon approche est  plus technique ; plus proche de celle d’un ingénieur, d’un architecte de bateau à voile. Pendant trois ans, j’ai cherché à tout comprendre, et j’ai obtenu la Bourse de la vocation en 1979, elle est accordée tous les ans à 20 jeunes. Par la suite, j’ai pu aller chez Étienne Vatelot (mort en 2013) ; il était le luthier d’Isaac Stern et de Mistlav Rostropovitch. C’était pour moi un vrai conte de fées. Tout me semblait difficile et tout est devenu facile. Il me fallait un vrai apprentissage que j’ai suivi chez Jean Schmitt à Lyon. »

Six ans après, en 1984, Christian Bayon, le Parisien, s’installait à Morlaix : « La région Bretagne me plaisait bien. Mais à 34 ans j’avais travaillé pour tous les professionnels de la région. Je cherchais une vie musicale plus importante. Une ville aussi où il n’y avait personne. Je n’aime pas l’esprit de la concurrence. C’est par hasard que je suis entré en contact avec l’Orchestre de Porto, je me suis dit Lisbonne pourquoi pas ? Ce n’est pas loin de la France, et l’étude de marché était positive. En 1989, je commençais à Lisbonne et il est venu  une clientèle que je ne pouvais pas avoir en France, comme Maxime Vangerov (NDLR : il sera en concert aux Chorégies 2021). »

Au début de sa carrière, Christian Bayon ne se consacrait qu’aux réparations des instruments. Une fois encore le hasard jouera en sa faveur : « Il y a 17 ans, on m’a passé une commande. Je me suis dit que l’occasion ne représenterait peut-être plus. C’était un pari risqué. Maintenant je ne fais que des instruments neufs. » Tout en précisant qu’il ne fabrique pas d’instruments baroques.  Il glisse qu’il n’a pas le temps d’aller écouter les concerts où les instruments sortis de sa main sont joués : « Je partirais sinon toutes les semaines ou presque. »

Instruments modernes contre instruments anciens, un vrai débat

Christian Bayon est un ancien de l'école des Mousses de la Marine nationale avant de devenir luthier à la fin de son premier contrat.

Christian Bayon a eu une leucémie il y a cinq ans. Aujourd’hui il fait partie de l’équipe nationale portugaise des greffés.

Christian Bayon disserte à propos du débat entre instruments anciens et instruments modernes : « Il y a eu des tests de fait à l’aveugle, comme pour le vin. La plupart du temps, les instruments modernes s’en sortent bien par rapport à 70 % d’instruments anciens. Ils sont la même qualité à quelque 10 ou 15000 euros. Alors que d’autres anciens valent des centaines de milliers d’euros. Ces 20 ou 30% d’instruments exceptionnels, c’est difficile d’aller les chercher. C’est une question de temps et de longévité du luthier. Stradivari a eu 80 ans de carrière. » S’il a vient de la technique et de la physique, on pourrait penser que Christian Bayon soit favorable aux études menées grâce aux nouvelles technologies : « Des études ont été faites sur les tableaux de Van Gogh, l’épaisseur des couleurs peuvent s’assimiler à des longueurs d’ondes. On peut tout mesurer. Mais que fait-on de toutes ces données ? Ceux qui se servent de ces informations travaillent a posteriori, je préfère travailler a priori. En 1979, Emile Leipp avait étudié l’acoustique des salles. Beaucoup s’étaient moqué de lui. Mais comment justifier un bon son ? Le luthier subit le poids de la tradition depuis 500 ans. Mon approche n’est pas la meilleure, ni la seule, mais j’ai choisi cette manière différente. »

Quand Christian Bayon n’est pas dans son atelier ou à imaginer une autre conception de fabrication, il sort profiter de la nature : « Quand j’ai 8 heures à l’atelier, je n’ai pas le courage de travailler le violon, même si je joue tous les jours, mais je prends de cours de temps en temps. J’ai des loisirs de plein air. Il y a cinq ans, j’ai été soigné d’une leucémie. Je fais du triathlon au sein de l’Équipe portugaise des greffés. » 

Bruno ALBERRO

 

Renseignement à Christian Bayon