Dernière soirée des Chorégies 2022, samedi soir, avec la diffusion de la Gioconda, opéra le plus connu de Ponchielli.

Si La Gioconda fait partie des riches opéras du grand répertoire du XIXe siècle, l’histoire n’en est pas moins compliquée, bien qu’inspirée par le drame de Victor Hugo, « Angelo, le tyran de Padoue ». Alors pourquoi ne pas faire simple pour le produire, créer l’ambiance, suggérer que le plateau soit la place Saint-Marc de Venise, laisser imaginer les bateaux de cette époque Renaissance livrer leur marchandise dans la cité des Goges. C’est le parti pris de Jean-Louis Grinda qui signe une mise en scène dépouillée hormis ces filins laissant imaginer la toile qui enserre les destins,  en train de se nouer sur le plateau. Ou encore les drisses des voiliers amarrées dans ce port de commerce de la Méditerranée.

Les vidéos d’Etienne Guiol et Arnaud Pottier plantent le décor, les tableaux scéniques glissent des coulisses au centre du plateau, les voix tournées vers le chef d’orchestre Daniele Calegari devant « son » Orchestre philharmonique de Nice. Mais en fallait-il plus ?  Car tout compte fait cet opéra de Ponchielli est intime quand plusieurs scènes se limitent à deux ou trois chanteurs, pour donner corps à leur tristesse, leur rogne ou leur méchanceté.

Des duos, ou trios nouent les intrigues amoureuses alambiquées, où ceux qui aiment ne sont pas aimés, hormis Laura et Enzo qui parviennent à fuir les jalousies qui les poursuivent. Bien sûr, il y a les chœurs, les figurants, les ballets, tous tiennent leur place et participent aux jeux des solistes. Et Dieu sait s’ils sont attendus. Car Ponchielli s’est appliqué à donner à tous les protagonistes l’occasion de montrer leurs qualités vocales. Plus encore pour le cinq majeur qui ne doit souffrir d’aucune faiblesse. Au premier rang, Barnada, à Orange interprété par le baryton italien Claudio Sgura, qui ouvre et ferme cet ouvrage opératique. Filiforme et intriguant noir à souhait, comme on imagine aujourd’hui un agent de l’Inquisition.

Alexander Vinagradov fait partie des grands basses russes du moment, Quel filet, quel tenu pour donner voix à son personnage Alvise, rongé par une jalousie vengeresse autant que mortelle. Le ténor Stefano La Colla devait entrer dans le costume d’Enzo, prince génois exilé, revenu pour enlever son amour. Il a su trouver l’emplacement chéri en son temps de la soprano Montserrat Cavallé pour projeter sa voix claire et timbrée. Jean-Marie Delpas est un homme heureux quand il est à Orange où il interprète ces personnages de transition essentiels dans des ouvrages aussi longs que la Gioconda. Jean Miannay, ce jeune ténor qui a découvert les Chorégies avec la Scène émergente l’an passé, a foulé cette fois la scène romaine dans le rôle d’un marin, bien qu’il n’avait que de rares phrases à chanter. Plus souvent comme figurant et séide de Barnada, il s’est montré expressif dans son théâtre. A revoir et entendre dans un rôle plus étoffé.

Dans les rôles féminins, l’hémicycle retrouvait la mezzo américaine Marianne Cornetti qu’on avait entendu dans le rôle d’Amnéris de l’opéra Aida de Verdi en 2006. Certes, cette fois, en devenant la mère aveugle de la Gioconda, son rôle était moins long, néanmoins l’Américaine a maitrisé son aria et et son duo.

Le rôle titre est revenu à la soprano hongroise Csillia Boross qui, depuis une douzaine d’années, est invitée sur les grandes scènes internationales. Sa réputation n’a pas failli, en vivant les amours tourmentées et sacrifiées de la Gioconda. Un rôle où les aigus comme les graves sont souvent sollicités et nécessitent une voix large et épanouie.

Pour la fin, nous avons gardé la mezzo française Clémentine Margaine, elle habilla le personnage de Laura. Celle qui chante si peu en France, a montré toute l’étendue de ses qualités vocales et scéniques, projection, variations des couleurs, ligne de chant, vibrato maîtrisé, elle a su peindre à la Tintoretto, le drame de cette époque,  mais aussi le trouble de ce cœur partagé entre le devoir de sa charge et son amour pour  Enzo, prince déchu et emprisonné. La scène antique est à la dimension de sa voix.

Bruno ALBERRO

 

Photo crédit Philippe GROMELLE