Carmen de Bizet, l’opéra le plus joué au monde, dit-on donc. Depuis 150 ans ou presque, les versions et les visions des metteurs en scène se suivent avec des nuances d’interprétation. Celle de Jean-Louis Grinda, présentée aux Chorégies d’Orange ce samedi, en une représentation unique, s’inscrit dans cette lignée. Les absents, les empêchés du festival lyrique pourront suivre le drame de Carmen et de Don José au petit écran ce 28 juillet sur France Télévisions.
A sa façon, le directeur des Chorégies d’Orange et réalisateur peint le drame andalou comme un féminicide. Le ton est donné dès l’ouverture pour montrer du doigt les violences faites aux femmes, quand Don José poignarde « lâchement » Carmen sa si jeune amoureuse qui préfère la liberté des amours passagères aux amours emprisonnées par les jalousies .
Mais la dernière scène pose question en voyant Carmen courir bras en croix vers le navaja pointé sur elle : combien de femmes éprises de liberté donneraient l’image d’un suicide en se précipitant sur la lame d’un amant possessif ? On s’attendrait à ce qu’elle soit poignardée, même dans le dos, plutôt que de courir à la mort. Ceux qui veulent être libres veulent vivre. Pour aller à cette mort, Jean-Louis Grinda affiche des mondes cloisonnés, recentrés, avec des parois, devenant même des couloirs, des passages en échappatoires, souvent baignés dans les ombres.
Il ajoute à la distribution, Irène Olvera, une jeune flamenca, pleine de fraîcheur pour rappeler cette Carmen jeune, ouverte à la vie, alter ego de Marie-Nicole Lemieux, dont la voix juste et théâtrale laisse oublier qu’elle est une andalouse hors norme dans les canons actuelles.
Sans se masquer ni tricher, la cantatrice canadienne diffuse ses parfums libertaires et insouciantes dans un personnage où on ne l’attendait pas forcément. Aujourd’hui l’évolution de sa voix lui permet d’incarner cette jeune cigarière qu’elle a déjà chantée à Paris et Toulouse.
Cette fois, le ténor Jean-François Borras cèdera au charme de la Québécoise. Au fil des arias, son chant et sa présence scénique jalonnent les quatre actes de l’ouvrage inspiré par Prosper Mérimée. Son premier duo avec Michaela incarnée par la soprano perpignanaise, Alexandra Marcellier, se calque sur ses autres venues orangeoises. Son second duo avec Michaela mérite qu’on tende l’oreille. Dès la première scène, la soprano lyrique auréolée d’une Victoire de la musique impose cette jeune paysanne amoureuse transie et de jeune femme timide.
Que penser d’Escamillo, le toréador des arènes de Séville dont le baryton italien, IIdebrando D’Arcangelo, emprunte les habits de lumière ? Il est attendu par le spectateur à chacun de ses airs pour entendre ses triomphes à venir, il a dû s’escrimer pour passer l’orchestre.
Le chant lyrique francophone a de l’avenir, si l’on en croit les artistes invités à cette production, comme la soprano Charlotte Despaux en Frasquita ou la mezzo Eleonore Pancrazi en Mercedes. Virevoltant, dansant, charmant, envoûtant le plateau et les gradins, les deux jeunes femmes qui ont déployé leur chant et leur art, à l’image du début du 3e acte dans la taverne.
Chez les hommes, Lionel Lhote, en Dancaïre, devient un habitué de la scène romaine. Cette fois encore, sa projection, sa diction, son tenu sont au rendez-vous. Comme complice, le baryton belge trouve en Jean Miannay le Remendado complice. Pour sa quatrième venue, le ténor français assume ses rôles de plus en plus importants et c’est tant mieux !
Pour lier cet opéra, où chaque air, duo, trio et quintet sont autant de tubes opératiques, la jeune cheffe napolitaine Clelia Cafiero, pour sa première venue à Orange, nourrit la partition de Bizet. Souvent, les chefs, sous la vue du public, se laissent aller à quelques gestiques grandiloquentes ; là rien de tout cela, la cheffe, passée par l’Opéra de Marseille, offre une direction sobre et concentrée, colorant les scènes sans suffisance, respectueuse de la partition pour lire le drame qui ne noue sous ses yeux. Il est vrai qu’avec les chœurs de l’Opéra Grand-Avignon ou de Monte-Carlo, la Maîtrise de l’Opéra Grand Avignon ou les solistes, disposés en tableaux, Clelia Cafiero dispose d’artistes appliqués à sa direction. Elle a pu recentrer sa lecture de l’ouvrage sur le texte, sans dispersion.
Photo crédit Philippe GROMELLE
Au programme des Chorégies d’Orange :
- Le mardi 11 juillet : récital Evgeny Kissin ;
- Le jeudi 13 juillet : Scène émergente ;
- Le samedi 15 juillet : Ballet du theatro alla Scala de Milan ;
- Le mardi 18 juillet : Eastwood symphonic ;
- Le lundi 24 juillet ; Gala Verdi avec Anna Netrebko et Yusif Eyvasov ;