La harpe est l’instrument de Marie-Domitille Murez. Comment en douter ? Elle qui a suivi un cursus complet de son instrument dans sa version moderne, avant de se tourner vers l’apprentissage diplômant de la harpe ancienne qu’elle pratique en soliste ou en musique de chambre.

La harpiste Marie-Domitille Murez, Photo Vioncent Arbelet

La harpiste Marie-Domitille Murez a collaboré avec l’ensemble de musique ancienne I Gemelli. Photo Vincent Arbelet

Comme beaucoup d’artistes privés de concerts, Marie-Domitille Murez s’accroche à la réalité pour accepter la situation sanitaire. Une chance pour la harpiste, un disque est en attente de sortie. Elle l’a enregistré avec l’ensemble de musique ancienne I Gemelli, porté par le chanteur Emiliano Gonzalez Toro : « Le disque L’Orfeo devait sortir à la fin de l’année, ce sera reporté à l’année prochaine. Avec mon ensemble ApotropaïK, on avait gagné le concours du festival Sinfonia en Périgord. Le prix était une résidence en vue d’un enregistrement qui était prévue en avril. C’est donc reporté. Comme je n’ai plus de rentrée d’argent, il a fallu que je renonce à un enregistrement solo. Cela signifie aussi que les concerts de saison sont annulés, comme les concerts de la sortie de disque. »

Marie-Domitille Murez pratique la harpe ancienne, un mot singulier pour un instrument multiple : « J’ai appris à jouer de la harpe gothique et de la harpe triple. J’ai aimé ce répertoire. Je me suis dit pourquoi pas de la harpe ancienne en plus de la harpe moderne. J’ai travaillé avec Angélique Mouillon pour le fun. Quand j’étais au Conservatoire national supérieur de musique de Lyon, j’ai eu la possibilité de suivre une heure et quart de cours toutes les deux semaines dans le département de musique ancienne. Au bout d’un an, j’ai passé le concours et j’ai suivi le double cursus harpe moderne et ancienne. Et enfin je me suis consacrée à la harpe ancienne, j’ai même vendu ma harpe moderne. J’ai tout réappris, repartie à zéro à 24 ans. »

Peu lui chaut que 80 % de son temps consiste à produire de la musique continuo, au même titre que les clavecinistes. Même si elle se  montre intéressée par la harpe celtique, si elle vient d’acquérir une harpe à pédale de 1790, signée Renault et Chatelain, Marie-Domitille Murez se réserve à la harpe gothique et la harpe triple : « La harpe gothique remonte au XIVe siècle, elle a une rangée de cordes et elle est plus petite que la harpe triple qui date elle de la fin du XVIIe et début du XVIIIe siècle, elle est composée de 73 cordes. Si on peut faire une comparaison, les cordes extérieures seraient les touches blanches du piano et les cordes au milieu, les altérations. Ce n’est pas frustrant d’accompagner un soliste ou un chanteur. Dans ce répertoire et pour la partie d’accompagnement, rien n’est écrit et c’est à nous d’inventer et de créer une histoire afin que le chanteur soit le plus à l’aise possible. Le continuo comme le soliste peut trouver aussi son égo.»

La harpiste Marie-Domitille Murez, Photo Vioncent Arbelet

La harpiste Marie-Domitille Murez  a consitué l’ensemble AtropotoïK qui restitue l’univers de la musique médiévale.

Elle glisse qu’il existe un répertoire solo pour harpe ancienne : « C’est magnifique. Le son me touche plus que le harpe moderne, il n’est pas du tout plastique. C’est vrai que le répertoire de la Renaissance ou du baroque n’est pas accessible à tout le monde, il peut sembler à certains ennuyeux alors qu’il est extrêmement brillant à l’exemple de Giovanni Maria Trabaci. Au départ le concerto de Haendel n’est pas écrit pour luth, mais pour la harpe triple. »

Plutôt que de s’exprimer avec la musique médiévale, pourquoi ne pas se tourner vers la musique d’aujourd’hui et défendre les compositeurs de son temps ? « Dans la musique ancienne, il y a des couleurs et des sonorités qui me plaisent et que je ne peux pas expliquer. Je ne crois pas qu’il faille choisir entre les deux et ne pas faire de sélection. Les deux musiques méritent d’être défendues. Pour moi, c’est une question d’éducation en apprenant à écouter ces musiques là. On constate que de plus en plus, dans les concerts, on mélange les répertoires anciens et actuels. Sinon, on écoute toujours les mêmes symphonies de Mozart ou de Haydn. Il faut donne envie de découvrir d’autres répertoires.»

La harpiste rappelle que les bibliothèques regorgent encore de partitions inconnues ou méconnues : « On a accès à ces partitions sans avoir à se déplacer, car beaucoup ont été scannées. On peut encore entreprendre tout un travail de recherche, que nous faisons avec mon ensemble AtropaïK. Il faut avoir la fibre de l’archéologie musicale en se demandant non seulement, comment on peut jouer cette musique, mais comment elle se jouait à son époque. »

S’il semble que la harpe est un instrument féminin dans sa pratique, Marie-Domitille Murez glisse que ce sont plutôt des idées reçues, elle cite les exemples de titulaires masculins au sein des orchestres de Radio-France, de professeurs masculins aussi dans les conservatoires : « Au XVIIIe siècle Marie-Antoinette jouait de la harpe, l’instrument donne l’image de jeunes filles aux fleurs.»

Bruno ALBERRO

 

Photos Vincent Arbelet

La vidéo de Marie-Domitille Murez